Le harcèlement moral et la dénonciation qui protège la victime

L’article L. 1152-1 du Code du travail dispose que : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Ainsi, trois éléments permettent de caractériser le harcèlement moral :

– des agissements répétés ;

– une dégradation des conditions de travail ;

– une atteinte à la santé physique ou mentale ou à l’avenir professionnel du salarié.

Le harcèlement moral se définit donc par ses effets (dégradation des conditions de travail + répercussions sur sa santé / carrière) et la délimitation entre ce qui relève du pouvoir normal de direction de l’employeur et ce qui relève du harcèlement a donné lieu à une jurisprudence abondante, riche en revirements multiples et souvent difficile à interpréter en raison de la multiplication des cas particuliers.

Pour exemple, il a déjà été jugé que constitue une situation de harcèlement moral des propos blessants, des attaques inutiles usant d’un ton excédant celui qu’autorise en certains cas le lien de subordination existant entre les parties, le fait de porter atteinte à l’image du salarié, sa fonction et son autorité …

Plus généralement, les situations de pressions intensives peuvent, lorsque ne sont pas justifiées par des éléments étrangers à tout harcèlement, justifier la condamnation de l’employeur sur ce fondement :

 

Cass. Soc., 10 nov. 2009, n°07-45321

Mais attendu que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Et attendu que la cour d’appel a relevé que le directeur de l’établissement soumettait les salariés à une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et contre-ordres dans l’intention de diviser l’équipe se traduisant, en ce qui concerne M. X…, par sa mise à l’écart, un mépris affiché à son égard, une absence de dialogue caractérisée par une communication par l’intermédiaire d’un tableau, et ayant entraîné un état très dépressif ; qu’ayant constaté que ces agissement répétés portaient atteinte aux droits et à la dignité du salarié et altéraient sa santé, elle a ainsi caractérisé un harcèlement moral, quand bien même l’employeur aurait pu prendre des dispositions en vue de le faire cesser ;

 

Cour de cassation chambre sociale 29 janvier 2013 N° de pourvoi: 11-23944

Mais attendu que la cour d’appel, analysant les éléments de preuve fournis par le salarié, a retenu que le changement de propriétaire et de dirigeant de la société en 2001 puis en 2006, s’était traduit, pour l’encadrement, par une pression constante et une baisse des moyens et prérogatives, et pour le salarié, par l’impossibilité de mener une vie familiale normale et une dégradation de son état de santé ; qu’elle a ainsi caractérisé le harcèlement moral par la société ; que le moyen n’est pas fondé ;

 

Cour de cassation chambre sociale 3 février 2010 N° de pourvoi: 08-44107

Mais attendu que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Et attendu que la cour d’appel a relevé que le directeur de la société Socrec soumettait les vendeurs à un management par objectifs intensifs et à des conditions de travail extrêmement difficiles se traduisant, en ce qui concerne M. X…, par la mise en cause sans motif de ses méthodes de travail notamment par des propos insultants et un dénigrement au moins à deux reprises en présence de collègues et ayant entraîné un état de stress majeur nécessitant un traitement et un suivi médical ; qu’ayant constaté que ces agissements répétés portaient atteinte aux droits et à la dignité du salarié et altéraient sa santé, elle a caractérisé un harcèlement moral de l’employeur lui rendant imputable la rupture du contrat de travail

Le harcèlement moral est une ‘’route à double sens’’ :

d’un côté le salarié doit ‘’établir la matérialité des éléments de fait précis et concordants qu’il présente’’,

de l’autre une fois les faits établis, l’employeur doit établir qu’ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le processus probatoire comporte donc deux étapes : ce n’est qu’après avoir établi les faits qui permettraient de présumer l’existence d’un harcèlement, que l’employeur doit à son tour prouver que ces faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (par exemple que les lettres d’avertissement adressées à son salarié sont justifiées par des retards répétés de ce dernier et non pas par une volonté de tourmenter inutilement).

Enfin, personne ne peut se constituer de preuve à lui-même et la Cour de cassation rappelle avec constance que si « la preuve a été fabriquée par celui qui la produit, elle se confond avec l’allégation de celui-ci, confisquant l’appréciation judiciaire là où elle doit s’exercer » (Rapport annuel 2012 – La preuve, p. 222 et 1ère civ. 21 juin 2005, pourvoi n° 02-19446).

Il résulte de l’article L.1152-2 du CT qu’ « aucun salarié ne peut être licencié (…) pour avoir subi des agissements répétés de harcèlement moral ou pour les avoir relatés ». En vertu de l’article L.1152-3 du Code du Travail, « toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, (…) est nulle ».

En application de ce texte, la Cour de cassation estime que « sauf mauvaise foi, la dénonciation d’un harcèlement moral ne pouvant être sanctionnée, ce motif ne peut être pris en considération dans l’appréciation des éventuelles fautes du salarié de nature à justifier le licenciement ».

La haute juridiction considérée également qu’une procédure de licenciement engagé peu de temps après la dénonciation (en l’espèce 15 jours après que le salarié ait relaté des faits constituant selon lui une situation de harcèlement moral) prive le licenciement de sa validité au motif que cette dénonciation a « de toute évidence pesé sur l’engagement à très court terme de la procédure de licenciement ».

Par ailleurs, la Cour de cassation a donné une définition claire de la mauvaise foi : « Attendu que pour débouter la salariée de ses demandes, l’arrêt retient qu’ayant dénoncé des faits qui n’étaient pas susceptibles de caractériser un harcèlement moral, elle est de mauvaise foi. Qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce, la cour d’appel a violé les textes susvisés »

En conclusion :

  • il est donc formellement interdit à un employeur de licencier un salarié pour avoir « relaté des faits de harcèlement moral », que ces faits s’avèrent établis ou non, à moins que la mauvaise foi du salarié soit caractérisée, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce ;
  • à partir du moment où il existe une relation de cause à effet entre la dénonciation des faits et le licenciement (même prononcé pour un autre motif), il n’y a « pas lieu d’examiner les autres griefs invoqués par l’employeur pour vérifier l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement … »

L’employeur manque à son obligation de prévention de la santé au travail lorsqu’il ne prend aucune mesure et n’ordonne pas d’enquête interne après qu’un salarié lui ait adressé un courrier évoquant des agissements de harcèlement.

En ne prenant aucune mesure pour remédier à la situation de souffrance psychologique exprimée par le salarié et matérialisée par des circonstances objectives, l’employeur commet un manquement à son obligation de sécurité de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail justifiant la résiliation judiciaire de celui-ci à ses torts.

Sur le fondement des dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail, la Cour de cassation a donné la définition suivante de l’obligation générale de sécurité de résultat qui pèse sur l’employeur : « l’employeur est tenu, à l’égard de son personnel, d’une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs ; qu’il lui est interdit, dans l’exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés ».

Comme l’indique Jean-Philippe Lhernould, Professeur à la faculté de droit et des sciences sociales de l’université de Poitiers, in « Obligation de sécurité de résultat : des arrêts Amiante à l’arrêt Snecma, brève chronique jurisprudentielle d’un univers en expansion » (JSL, no 239, 1er sept. 2008) :

« L’obligation de résultat implique, dans son sens premier, une obligation de réussite, une obligation de succès. C’est pourquoi la jurisprudence de la Cour de cassation postérieure aux arrêts du 28 février 2002 insiste sur le fait que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat, doit assurer une protection effective de la sécurité des travailleurs. Il doit tout mettre en œuvre à cette fin, avant que ne survienne l’évènement qui portera atteinte à l’intégrité du salarié. L’impératif de prévention prend, dans ce contexte, toute sa mesure. Par ailleurs, pour être efficace, la protection doit couvrir tout type de risques affectant les personnes, y compris ceux d’origine psychique ».

Il en résulte que les employeurs sont tenus d’assurer à leurs salariés, la protection nécessaire à leur sécurité contre les dangers auxquels leur profession les expose.

Pour se faire, ils sont tenus d’évaluer risques pour la sécurité et la santé des travailleurs, y compris dans l’aménagement de leur temps de travail, et de prendre les mesures qui s’imposent aux nombres desquelles figurent à minima celles prévues par la loi (entretiens annuels sur la charge de travail, veiller à ce que les salariés puissent partir en congé etc).

Il en résulte que l’employeur ne peut – sans engager sa responsabilité – prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de dégrader la santé morale d’un salarié en lui demandant par exemple d’assumer une charge de travail insurmontable ou en lui demandant de se plier à des horaires de travail qui ne lui permettrait pas de disposer de ses temps de repos.

Une augmentation dans de telles proportions de la charge de travail peut même caractériser un harcèlement moral dans certaines circonstances, « l’accroissement des tâches de la salariée, la multiplication des réunions, courriels d’ordre et de contre ordre, l’absence de toute considération pour la personne, la dégradation des conditions de travail tant matérielles que psychologiques et l’altération de la santé de la salariée qui s’en est suivie » justifiant une telle qualification.

AUTRES QUESTIONS

Les clauses de mon contrat – les primes – leurs modifications

En savoir plus

La rupture du contrat (licenciement, prise d’acte, démission avec griefs) et sa contestation aux prud’hommes

En savoir plus

Les cadres (intégrés, autonomes, ou dirigeants) peuvent-ils réclamer la rémunération de leurs heures supplémentaires

En savoir plus

Le départ négocié, la rupture conventionnelle, la transaction, le procès-verbal de conciliation et la fiscalité y afférente

En savoir plus

Un très bon avocat à Paris, même excellent

Le Site du Coaching, DRH de sociétés cotées

Une question?

Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions. N’hésitez pas à nous contacter, nous vous répondrons le plus rapidement possible.